Mois : juin 2019

Notre pratique de la prédication est-elle biblique ?

Notre pratique de la prédication est-elle biblique ?

A plusieurs reprises, j’ai été heurté par l’argumentation développée dans les formations à l’homilétique

Rien que la définition pose problème:

HOMILÉTIQUE

 (o-mi-lé-ti-k’) s. f.

Théorie de l’éloquence de la chaire.

ÉTYMOLOGIE

  • Terme grec signifiant l’art de parler, et venant du verbe grec se traduisant par discourir (voy. HOMÉLIE).

 

L’art du discours se retrouve à l’identique dans n’importe quel séminaire d’entreprise, avec le même résultat: susciter émotion et enthousiasme de la salle.

Puisque, selon les réformateurs, le culte se construit autour de la prédication, ainsi l’église se transforme logiquement  en salle de conférence.

megachurch

Le modèle megachurch suit la même logique que nos églises évangéliques, en plus grand.

Ainsi, pour écouter la conférence de 45 minutes ou Dieu est censé parler, les membres de l’église sont mécaniquement transformés en auditeurs passifs.

Il est difficile de dire que chacun a les yeux braqués sur Jésus, manifestement non.

De même les ministères et dons se déclinent à l’infini, puisqu’il faut bien s’occuper de la salle de concert/conférence:

  • Ministère du parking
  • Ministère de l’accueil et placement des membres
  • Ministère de la garderie
  • Ministère de la sono
  • Ministère de la lumière
  • Ministère des fauteuils
  • Ministère du ménage

C’est curieux, je ne trouve aucun de ces ministères dans la bible…..

Est-ce vraiment à ça que servent les dons donnés par le Saint-Esprit  ?

En principe le modèle que nous sommes sensé suivre est celui-ci

Enseignement de Jésus

Le bon pasteur connait chacun, partage sa vie avec chacun: le premier enseignement est celui qu’il montre par sa vie, se préoccuper de chacun.

Jean 10.14►Moi je suis le bon berger, et je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent,

Croyez vous vraiment que le fait de donner une conférence est un travail pastoral, puisque vous ignorez en fait à peu près tout de ce que vivent les auditeurs ?

On peut m’objecter qu’il est possible de prendre RDV: il y a déjà un problème, c’est long et difficile d’avoir un RDV, donc mécaniquement vous arrivez déjà avec la volonté de trouver de la sagesse qu’il n’y a pas forcément dans les réponses apportées.

Cette non-proximité entraîne un biais perceptif de survalorisation, vous êtes déjà bien content d’avoir eu un RDV et d’exister un peu.

Jésus s’est limité à 12 disciples qu’il a formé pendant 3 ans à prendre sa suite: voilà un excellent modèle.

Mais que dit la bible sur la prédication ?

En fait ce terme générique n’existe pas, voilà ce qui est indiqué

Les verbes principaux (avec leur fréquence) qui évoquent la prédication:

euaggelizo: (55). Annoncer une bonne nouvelle ou la Bonne Nouvelle, l’Evangile.

kerusso: (61). prêcher, proclamer, publier (« héraut »). Toujours suggestion du caractère formel, solennel et autoritaire du message, qui doit être obéi.

didasko (87). Enseigner ou instruire.

anaggello: Dire, montrer, déclarer, répéter (Ac 14.27, 19.18, 2 Cor. 7.7)

dialégomai: S’entretenir avec quelqu’un, dialoguer (Marc 9.34, Act 17.2, 19.8, 24.12 Jd 9)

epideiknumi: Indiquer, montrer

kataggello: Exposer, raconter, narrer (Ac 11.4, 18.26, 28.23)

laleo: Parler, prêcher (Mat 12.26, 28.21, 2 Cor. 7.14, Ap 4.1)

martureo: Témoigner, donner un témoignage, être témoin (être attesté en Héb 7.17). (Luc 4.22 ; Jean 3.11, 26, 12.17, 15.27, 18.23, 19.35, 2 Cor. 8.3; 1 Tim 6.13).

parresiazomai: Parler avec hardiesse, assurance (Ac 18.26)

peitho: Persuader, convaincre, gagner (Ac 18.4, 12.20, 14.19)

diakatalegchomai: Réfuter complètement, réduire au silence (Ac 18.28)

ektithmi: Exposer, raconter, narrer (Ac 11.4, 18.26, 28.23)

homileo: S’entretenir avec (Luc 24.14-15 ; Actes 20.11, 24.26)

sumbibazo: Renforcer la cohésion de (Ep 4.16). démontrer, déduire (Ac 9.22, 16.10). instruire (1 Cor. 2.16)

parakaleo: Inviter, consoler, réconforter, encourager (Mat 2.18, 1 Thes 3.2, 4.18)

noutheteo: Avertir, exhorter, mettre en garde (Ac 20.31, 1 Cor. 4.14)

diamarturomai: Adjurer, exhorter, témoigner (Lc 16.28, Ac 2.40, 1 Tim 5.21 2 Tim 2.14

elegcho: Réprouver, reprendre, réfuter, désavouer (Jean 3.20, Eph 5.11, Jn 8.46, 1 Cor. 14.24 Jc 2.9, Héb 12.5 (châtier)

d’après « Introduction à l’homilétique » de Florent Varak, Institut Biblique de Genève

La bible nous montre une vingtaine de manière de prêcher, pourquoi finalement décider de n’en faire qu’un discours construit sans aucune interaction ?

La réponse est historique, les réformateurs voulaient construire un modèle qui se différenciait de la messe catholique, en misant tout sur un nouvel exercice : la science du discours persuasif.

La bible ne parle absolument pas de ça:

1 Corinthiens 2.4-5►et ma parole et ma prédication n’ont point consisté dans des discours persuasifs de la sagesse ; mais dans une démonstration d’Esprit et de puissance ; afin que votre foi fût fondée, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. 

Celà n’a pas eu l’air de préoccuper Vinet et son célèbre ouvrage « Théorie de la prédication » de 1853.

téléchargement de Vinet_homiletique

Ne croyez pas qu’il s’agit d’un obscur théologien, voilà ce qu’en dit le musée protestant ici

Présentation d’Alexandre Vinet

Alexandre Vinet, que l’on peut considérer comme le penseur le plus important du protestantisme d’expression française au XIXe siècle

Prenons simplement le début de son épais ouvrage, page 11:

Ces conditions de l’éloquence en général se compliquent de celles qui sont propres à un discours public, et toutes ensemble constituent l’art oratoire. Un discours oratoire est un discours prononcé devant une assemblée dans le but de lui inculquer certaines idées, de lui inspirer certains sentiments, ou de provoquer certaines résolutions, ou de faire ces trois choses à la fois. Mais la dernière est le but final; celui par rapport auquel les deux autres ne sont que des moyens, des chemins. [L’orateur doit parler au cœur aussi bien qu’à l’esprit, puisqu’il en veut à la volonté, et que notre volonté est sous l’empire de nos affections.]…

L’orateur cherche à s’emparer de notre volonté. Sa tâche est une agression opiniâtre; notre âme est un fort qu’il assiège, mais qu’il ne prendrait jamais s’il ne s’était ménagé des intelligences dans la place; l’éloquence n’est qu’un appel à la sympathie; son secret consiste à démêler et à saisir dans l’âme d’autrui les parties qui correspondent à la nôtre et à toute âme; son but est de s’emparer de la main qu’à notre insu nous lui tendons sans cesse. C’est de nous qu’elle obtient des armes contre nous; c’est de nos concessions qu’elle se fortifie, de nos dons qu’elle se prévaut, avec notre aveu
qu’elle nous accable. En d’autres termes, l’orateur invoque des principes, intellectuels et moraux, que nous tenons en commun avec lui, et il ne fait que réclamer avec instance les conclusions de ces prémisses; il nous prouve que nous sommes d’accord avec lui, il nous fait sentir et aimer cet accord; en un mot, comme on l’a dit avec énergie, on ne démontre aux gens que ce qu’ils croyaient déjà

Vinet, Chrestomathie française, tome III. Réflexions sur l’éloquence, à la suite du Discours de Royer-Collard sur le projet de loi relatif au sacrilège.

 

Quid du Saint-Esprit ?

L’auteur éjecte rapidement cette embarrassante difficulté page 21:

Vous aurez plutôt fait de dire (pourvu toutefois que vous le prouviez) que l’homme ne doit être pour rien dans l’œuvre du ministère; qu’il faut qu’il se borne à réciter les paroles inspirées; en d’autres termes, qu’il est convenable de supprimer la prédication; mais si vous accordez que le prédicateur est un homme, il faut que vous trouviez bon qu’il s’applique et se mêle tout entier à son œuvre; que, dans toute la force du terme, il parle la parole de Dieu; vous aurez par là même sanctionné l’étude et la pratique d’un art qui n’est autre chose que l’emploi raisonné et réfléchi de tous les moyens naturels dont le prédicateur, dispose.

Si l’on veut résumer cette pensée: le Saint-Esprit oui, bon, mais au final c’est par la chair qu’il faut bien se débrouiller…..

Vous comprenez maintenant pourquoi l’église a été transformée en un auditorium passif: par un superbe raisonnement humain, puis par tradition.

Avec un peu d’habitude, vous reconnaîtrez les ficelles du discours.

Par exemple l’introduction ( extrait d’une formation à l’homilétique):

L’introduction ouvre les portes du sermon. Elle permet à l’auditoire encore dehors de jeter un coup d’œil à l’endroit qu’il va bientôt pénétrer. Elle est une étape très décisive car elle détermine le reste du sermon. Tous les moyens sont bons pour capter l’attention de l’assemblée. C’est ainsi qu’un sermon peut être introduit par une bonne présentation du contexte historique du passage choisi, des événements courants dans la vie quotidienne, une histoire fictive… tout ceci est dans le but de susciter un intérêt particulier pour le sujet présenté et de préparer l’auditoire qui va le suivre.

Est-ce que ça marche ?

Evidemment les résultats sont insignifiants, mais rien de surprenant.

Je me suis procuré avec beaucoup de difficulté « La réforme protestante du culte à Strasbourg au 16 eme siècle » de René Bornet ( que j’ai fait venir de la Iowa State University, ce qui ne s’invente pas) car elle décrit toutes les étapes de la réforme liturgique: la religion étant une affaire d’état à Strasbourg à cette époque, il y a de nombreux écrits.

Ils firent de gros efforts pour faire oublier la messe catholique, quitte à légiférer pour interdire tout loisir à l’heure des cultes, et instituèrent plusieurs cultes par semaine pour multiplier l’exposition à la prédication.

Le bilan final est très décevant:

Page 106: …ceux qui entendent la parole restent bien plus nombreux que ceux qui y croient.Chez beaucoup les vrais fruits de la foi se manifestent encore très rarement

Qu’attendons pour mettre de côté ce passé et nous recentrer sur la Parole de Dieu et le Saint-Esprit ?